Séisme dans le secteur bancaire : la relation entre KPMG et la Silicon Valley Bank ravive le débat sur l'indépendance de l'audit.
L’effondrement récent de la Silicon Valley Bank (SVB) audité par KPMG, seulement deux semaines après avoir annoncé une bonne santé financière, évoque un sentiment de déjà vu, et pour cause. L'analogie avec la faillite de Lehman Brothers en 2008, suite au manque d'identification des risques majeurs par Ernst & Young, avait déjà suscité des interrogations sur la responsabilité des auditeurs dans la détection des risques financiers.
L’imminente catastrophe n’a pas été identifié par KPMG
Mandaté comme partenaire d’audit de la SVB depuis 29 ans, KPMG est chargé de vérifier les états financiers de l’entreprise, afin de s’assurer qu’ils soient conformes aux normes comptables et réglementaires en vigueur. Jusqu’à lors, aucun souci, vous direz-vous. Cela est sans compter l’incident du 24 février, jour où le dépôt 10-K, comprenant la dernière opinion d'audit de KPMG, a été déposé, soit environ deux semaines avant que la SVB ne soit saisie par les régulateurs à la suite d'une panique bancaire.
Avant la publication de leur rapport annuel, les auditeurs sont tenus d'évaluer s'il y existerait un doute significatif quant à la capacité d'une entreprise à survivre dans l'année suivante. Si tel est le cas, l'opinion d'audit qui figure dans le rapport doit inclure un avertissement. C’est à ce moment que le problème intervient. Bien que KPMG ait identifié les pertes sur créances et les engagements de prêt non financés comme une question d'audit critique, le cabinet n'a pas signalé les risques liés à la capacité de la société mère de la banque, SVB Financial Group, à persister en tant que "continuité d'exploitation". La courte fenêtre entre l'audit et la faillite a immédiatement interrogé comment les auditeurs auraient pu manquer les signes de la catastrophe imminente, si proche de l'effondrement.
Un accident lié à la relation de longue date entre le cabinet et la banque ?
Nichée dans une ligne au bas du rapport de KPMG, la mention “depuis 1994” rappelle la relation de plusieurs décennies entre la banque et son auditeur. Cela ravive un débat de longue date, questionnant la nécessité de fixer des limites à la durée d'un mandat d'audit pour éviter toute complaisance pouvant nuire à sa qualité. Kate Suslava, professeure adjointe de comptabilité à l'Université Bucknell, a exprimé son opinion quant à la problématique :
"Je soupçonne que le fait d'avoir le même auditeur pendant si longtemps n'a pas aidé, car les auditeurs ont tendance à suivre les mêmes procédures d'audit que l'année précédente : faire défiler les documents de travail".
Cette conviction est soutenue par plusieurs experts, tel que. Castonguay, qui estiment qu’il est possible que l'auditeur ne fasse pas preuve de la même vigilance après 29 ans de travail pour une entreprise.
La défense de KPMG : "des audits conformes aux normes de l'industrie"
Dans un communiqué, le cabinet a déclaré qu'il avait "effectué des audits conformes aux normes de l'industrie”. S’en est suivi la déclaration de Paul Knopp, directeur général de KPMG aux États-Unis, lors d'un événement au NYU Stern Center for Sustainable Business: “Nous soutenons les rapports que nous avons publiés et nous pensons que nous avons suivi toutes les normes professionnelles”. Le cabinet a également souligné qu'il avait bel et bien identifié les pertes sur créances et les engagements de prêt non financés comme une question d'audit critique, discutée avec le comité d'audit de la société.
La position des instances de contrôle et des gouvernements quant à l’indépendance de l’audit
Les régulateurs et les autorités gouvernementales ont également pris note de la question de l'indépendance de l'audit, en particulier en ce qui concerne les grandes entreprises et les entreprises financières. En 2002, la “Securities and Exchange Commission” (SEC) des États-Unis avait adopté la loi Sarbanes-Oxley, qui exigeait que les entreprises publient des rapports financiers plus précis et transparents. La loi réclamait également une rotation régulière des cabinets d'audit pour éviter les conflits d'intérêts et améliorer l'indépendance de l'audit. Toutefois, la SEC a assoupli les règles de rotation obligatoire des cabinets d'audit en 2017, affirmant que la rotation fréquente des auditeurs pouvait perturber la relation de confiance et la continuité des audits. Les critiques ont soulignés que cela pouvait inciter les auditeurs à devenir trop confortables avec leur client, entraînant une baisse potentielle de la qualité de leur travail.
La relation de longue date entre KPMG et la Silicon Valley Bank illustre la question persistante de l'indépendance de l'audit et de la nécessité d'une rotation régulière des cabinets. Bien que KPMG maintienne le fait que son expertise était conforme aux normes de l'industrie, l'effondrement de la SVB met en lumière la capacité des auditeurs à signaler les risques et à maintenir une distance critique par rapport à leur client. Les régulateurs et les autorités gouvernementales ont un rôle clé dans la surveillance de ces relations pour garantir la transparence et l'intégrité des rapports financiers.
Ecrit par Amandine Valentin, Consultante Junior ESSEC Junior Développement
Sources:
"Silicon Valley Bank's audit by KPMG questioned", Financial Times, 29 mars 2023
"The Trouble with Long-Tenured Auditors", Harvard Business Review, 8 janvier 2020
"KPMG's 29-year audit tenure at SVB raises concerns about independence", Accounting Today, 29 mars 2023
"Silicon Valley Bank's Collapse May Revive Debate Over Auditor Tenure", Bloomberg, 28 mars 2023
"SVB Financial (SIVB) May Have Misled Investors, KPMG Failed to Report Risks", Yahoo Finance, 27 mars 2023